• Aujourd’hui, au Liban on commémore les 40 ans des débuts de la guerre : 13 avril 1975 – 13 avril 2015.

    Comment oublier ce jour-là ? Nous descendions en voiture de la montagne avec quelques amis, pour regagner notre maison à Beyrouth. Il y avait dans les rues une agitation anormale, on le voyait sur le  visage des gens dans la rue, sur les trottoirs et aux fenêtres des immeubles, le  trafic était plus mouvementé que d’habitude : un vent de panique, mais pour quelle raison ? Il n’y avait pas de cellulaire à l’époque pour poser des questions. A peine arrivés à la maison, quelques coups de téléphone et on apprend la vérité. Il y a eu un accrochage entre des miliciens libanais et des combattants palestiniens, des morts, des blessés et des dégâts. On craint maintenant les représailles, des actes de vengeance, l’escalade...

    Que faire dans tout cela ? Travailler encore pour la paix avant qu’il ne soit trop tard ? On apprend qu’il y a besoin de sang des deux côtés, dans un hôpital du quartier chrétien d’Achrafieh et au camp palestinien de Sabra. Nous étions quatre : sans hésiter nous nous divisons en deux groupes et chacun va donner son sang. Je faisais partie du groupe qui est allé à Sabra. Un accueil chaleureux, à plus forte raison parce que nous étions deux étrangers. Même pas de contrôle pratiquement : quand on vient donner son sang on est toujours le bienvenu. C’est vrai qu’au retour à Achrafieh nous avons vu que certaines personnes n’avaient pas compris notre geste : « Comment, vous allez donner votre sang aux Palestiniens ? » Le piège de la haine et de la vengeance s’était déjà ouvert, la guerre allait durer 16 ans, sans vainqueurs ni vaincus, ou plutôt avec seulement des vaincus : les Libanais et les Palestiniens y ont tous perdu des êtres chers pour commencer, un avenir possible et jusqu’à aujourd’hui les conflits du Moyen Orient s’éternisent.

    Mais tout cela peut faire réfléchir. Lorsqu’il y a un conflit, on pense avoir raison et on est tenté d’imposer sa « raison » par la force. Or la force ne passera jamais. Elle croira passer, parce qu’elle aura fait plier l’autre, elle l’aura écrasé peut-être, mais elle n’entrera jamais dans son cœur, un conflit entrainera l’autre et l’humanité est toujours malade de cette prétendue force qui veut imposer sa « raison ».

    Donner son sang, oui, c’est toujours un passepartout. Personne ne peut rester indifférent à une personne qui est prête à lui donner ce qu’elle a au fond de plus cher en elle : le sang qui coule dans ses veines. Le sang est comme l’eau dont nous parlions dans le premier article de cette rubrique : le sang et l’eau sont symboles de la vie. Seule la vie est un passepartout. La mort crée la mort. La violence appelle la violence. « Il y a beaucoup de causes pour lesquelles je suis prêt à mourir, mais aucune cause pour laquelle je suis prêt à tuer », disait Gandhi.  Pourquoi nous n’écoutons pas ces paroles de sagesse ? Pourquoi les responsables politiques qui peuvent encore réfléchir calmement dans leurs bureaux se laissent-ils entrainer par cette folie meurtrière ? Ne voient-ils pas ou cela mène ? Ou bien le gain de la vente des armes est-il peut-être plus précieux que la vie des hommes, parfois de leurs propres peuples ?


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  • Natalia était une amie qui a passé une vingtaine d'années de sa vie en Allemagne de l'Est, au delà du rideau de fer. Elle était partie là-bas avec une équipe de médecins volontaires pour secourir ce pauvre pays d'où la plus grande partie des médecins, et souvent les meilleurs, avaient fui en Occident pour échapper au communisme, laissant les hôpitaux dans de piètres conditions.

    Malgré ce défi difficile, Natalia était toujours souriante, pleine d'espoir. Elle savait bien qu'un jour ou l'autre cette situation intenable et injuste allait se terminer et quelle joie pour elle et ses compagnons lorsque le Mur de Berlin s'est finalement écroulé.

    Un jour que Natalia était en visite chez nous, dans un de ces pays du Moyen Orient ravagés par les tensions et les divisions, un de nous lui avait demandé conseil: comment faire ici, dans ces pays où les "murs de Berlin" et les "rideaux de fer" se retrouvent presque à chaque pas, pour garder la paix dans l'âme et espérer encore qu'un jour tout le monde pourra ici aussi circuler librement là où bon lui semble.

    Natalia nous avait alors demandé ce qui était, à notre avis, le plus fort: le fer, la pierre ou l'eau? Certains penchaient pour la pierre, d'autres pour le fer, mais personne n'avait eu l'idée de dire que c'était l'eau qui était la plus forte. Et pourtant, si l'on réfléchit un seul instant, on sait bien que le fer ou la pierre, un jour ou l'autre, ne pourront résister à l'érosion ou à la rouille provoquées par l'eau. Quand on survole l'Egypte du Nord au Sud ou du Sud au Nord, au-dessus de la vallée du Nil, on reste frappé par le travail extraordinaire de l'eau qui a creusé son lit au cours des siècles et des millénaires, parmi les roches et les pierres du désert. Les marins sauront bien eux aussi nous expliquer combien leurs navires sont continuellement en danger si on ne les protège pas contre l'usure de l'eau...

    Bien sûr, l'eau ne fait pas de bruit (sauf s'il s'agit d'une mer en tempête ou d'un tsunami), elle n'agit pas avec la violence de la pierre ou du fer. Il faut une patience énorme pour attendre que l'eau produise son effet, mais en fin de compte c'est elle qui va remporter la bataille. L'important c'est qu'elle ne disparaisse pas, que tout ne devienne pas sec tout à coup, car ce serait alors une catastrophe irrémédiable. Et Natalia nous conseillait donc de veiller sur cette eau que nous avons en nous et parmi nous, cette eau qui peut être l'esprit de paix, de pardon, de solidarité, d'amour, qui ne fait pas de bruit mais qui enlève peu à peu les obstacles.

    Evidemment bien des Allemands sont morts sans voir la fin du rideau de fer. Peut-être que nous-mêmes mourrons avant de voir s'écrouler les murs du Moyen Orient et tous les autres murs, sociaux, culturels, psychologiques, quand ils ne sont pas matériels, que chaque pays porte encore en soi. Mais l'important c'est de croire que ces murs tomberont un jour parce qu'aujourd'hui, sans relâche, de simples personnes comme nous alimentent encore la source de l'eau bienfaisante.


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